50 ANS DE FIDÉLITÉ[1]

La fidélité présuppose l’amour. Être fidèle,

je ne peux l’être qu’envers celui, celle que j’aime.

Anselm Grün

 

Je suis heureux d’ouvrir avec vous l’année du 50e anniversaire d’Appoint. Une année de souvenirs, une année de reconnaissance, une année d’espérance.

La revue Appoint est née en 1967 chez les Frères des Écoles chrétiennes de Montréal, en un temps de vigoureuse contestation de la société et de l’Église. Des jeunes Frères avaient réclamé un espace dans la revue de leur Communauté, Les Études, pour y exprimer leurs questionnements sur la vie religieuse. D’où le nom qu’ils donneront, à leur revue devenue rapidement autonome: Appoint, dans le sens d’un complément.

Le premier numéro porte la date d’octobre 1967. Et voici les membres de l’équipe fondatrice d’Appoint: Gilles Beaudet, directeur; Jean-Marc Cliche, rédacteur en chef; Réal Beaudette, secrétaire; Hubert Boulanger, Gérald Couillard, Richard Dupont, Jean-Pierre Fournier, Gérard Giguère, Réal Jetté, Gilles Meunier, trésorier; Claude Tremblay, Martial Vézina, André Saint-Arnaud, imprimeur.

 

Ouverture

Dès 1969, la nouvelle publication élargit son horizon: elle devient intercommunautaire en accueillant dans son comité de rédaction des Frères appartenant à d’autres Communautés. Quelques noms: Gérald Sigouin s.c., André Parenteau f.i.c., Ronald Brissette s.g. Je suis alors sollicité pour en devenir membre. L’année suivante, en 1970, on m’invite à prendre la direction de la revue, responsabilité que j’assume encore aujourd’hui.

En 1971, une autre étape est franchie: des religieuses de diverses Communautés s’engagent dans l’aventure Appoint. J’en mentionne quelques-unes: Rolande Paris s.g., Marguerite Mercier s.h.s.j., Jacqueline Boudreau s.n,j.m., Marguerite Paquet c.n.d.,

Ghislaine Salvail s.j.s.h., Marthe Fontaine p.s.a., Réjeanne Martin s.s.a. Appoint s’affirme alors comme un lieu de rencontre, de partage et de collaboration entre les religieuses de différentes Communautés, ce qui est une nouveauté à l’époque.

Après 1980, les collaborateurs se diversifient rapidement. Des laïcs et des prêtres sont membres de l’équipe des réalisateurs ou écrivent dans la revue. On y retrouve: Mireille Pilon, Jean Desclos, Monique-P. Nadeau, André Myre, Micheline Lachance, Benoît Lacroix o.p. Un jeune franciscain, Pierre Charland, a participé un bon moment à l’histoire d’Appoint.

Depuis plusieurs années, la grande majorité des responsables et des auteurs sont des laïcs. Je suis actuellement le seul religieux dans l’équipe de rédaction qui compte dix membres. Même si vous pouvez découvrir leurs noms ailleurs dans le présent numéro, je les nomme tous ensemble pour mieux leur exprimer mon affection et aussi mon admiration devant leur solidarité engagée, créatrice: Yvon Poitras, directeur; Francine Vincent, co-directrice; Yvonne Demers, Fernand

Raymond, Christiane Lafaille, Daniel Pellerin, Céline Wakil, Alain Blanchette; Myriam Wakil, secrétaire; André Bernier, rédacteur en chef. Veuillez noter l’équilibre hommes-femmes. «On est en 2017», dirait Justin Trudeau…

 

Une spiritualité libératrice, à la lumière de l’Évangile

Entre 1967 et 1972, Appoint vise prioritairement à libérer la parole et la vie dans les milieux communautaires et dans le monde de l’éducation. Chaque année, une soixantaine de religieux et de religieuses partagent dans la revue leurs expériences, leurs engagements et leurs réflexions. J’évoque quelques titres d’articles significatifs: «Les Frères, avec quoi les salera-t-on?», «Les jeunes et leurs idoles», «Le moment est venu de…», «Être une présence

chrétienne, c’est quoi?» Et des colloques sont organisés; ils suscitent une vivante participation. On y réfléchit, par exemple, sur le phénomène de la sécularisation, sur les nouvelles exigences de l’éducation chrétienne.

 

En 1972, la période des grandes mutations dans les Communautés d’ici étant révolue, Appoint précise ses objectifs. Tout en gardant un intérêt pour l’évolution de la vie religieuse, la revue cherchera à présenter une spiritualité attentive aux interrogations et aux besoins des hommes et des femmes de notre temps, à la lumière de l’Évangile. Une spiritualité capable d’éclairer et de stimuler les personnes et les groupes dans leur cheminement de foi et dans leur implication sociale ou ecclésiale. Une spiritualité donneuse de clarté, de sens et d’espérance. Une spiritualité profondément animée par le Maître Jésus et son Évangile. Cet objectif demeure d’une exigeante et vivante actualité.

Appoint a toujours accordé un large espace au partage d’expériences éclairées et stimulées par des convictions psychologiques, sociales ou spirituelles. La revue a souvent invité des croyants et des croyantes à dire leur cheminement personnel et leurs initiatives de libération de la vie auprès des jeunes, des personnes âgées ou handicapées, des démunis et des marginaux de

toutes couleurs. Elle a de préférence ouvert ses pages aux témoins ordinaires, aux sans-voix, aux fantassins du quotidien et de l’agir évangélique, même si elle a, à l’occasion, obtenu la collaboration d’auteurs connus, tels le Frère Untel, Émile Legault c.s.c., Ghislaine Roquet c.s.c., Mgr Bernard Hubert, du diocèse de Saint-Jean-Longueuil.

 

Au rythme de la société et de l’Église

             Dans la foulée de son objectif d’animation spirituelle, la revue a suivi la cadence du changement dans la société et dans l’Église. Les thèmes abordés le montrent à l’évidence: le renouveau communautaire, la communication, la présence au monde, la justice, la condition féminine, la consommation, le travail, le syndicalisme, le vieillissement, la violence, la famille, la foi des jeunes, l’environnement, la santé, la paix, l’avenir de l’Église. Et dernièrement, nous avons présenté des thèmes très actuels: les migrants, être témoin de l’Évangile aujourd’hui, rêver sa Cité.

À côté des sujets d’actualité, et comme pour les transfigurer de l’intérieur, Appoint publie régulièrement des numéros entiers consacrés aux réalités spirituelles et religieuses les plus essentielles: Dieu, la Parole, Jésus, la foi, la prière, l’amour, la Résurrection, l’espérance.

Une intention émerge clairement des quelque 2500 articles rédigés depuis 1967: la libération des personnes, la libération de la société, la libération de la spiritualité et de l’Église. Nous avons cru et nous croyons toujours, par exemple, que l’Église est notre responsabilité autant que celle des évêques et du pape. Nous sommes convaincus avec Joseph Moingt s.j. que «l’Évangile sauvera l’Église», comme l’affirme nettement le titre de l’un de ses derniers livres.

 

Grâce à la fidélité des personnes

             Appoint a vécu et grandi pendant 50 ans, parce qu’il y a toujours eu des personnes qui ont cru assez fortement aux objectifs de la revue pour offrir gratuitement leur temps, leurs ressources et leurs réflexions. Nous avons toujours réussi, et assez facilement, à dénicher des responsables, des membres du comité de rédaction, des auteurs significatifs et inspirants.

            Appoint est dirigée et animée depuis sa naissance par une équipe de réalisateurs qui voit aux orientations et à la gestion de la revue, au choix des thèmes et des collaborateurs. La fidélité, la qualité et la générosité de ces personnes ont été et sont toujours des facteurs essentiels du dynamisme et de la longévité de la revue. Plusieurs dizaines de personnes ont constitué les équipes de réalisateurs au fil du temps et des changements.

Plusieurs revues spirituelles ou religieuses sont disparues depuis dix ou vingt ans, même si elles étaient parfois soutenues par des Communautés importantes. La fidélité solidaire des personnes dans la réalisation des objectifs d’Appoint explique sa vitalité étonnante dans le contexte social et ecclésial passé et actuel. La stabilité des directeurs, des secrétaires et des rédacteurs en chef a certainement été un élément vital dans la continuité de la revue.

Je signale, en les saluant avec une grande reconnaissance et une profonde admiration le dévouement exceptionnel et prolongé de certaines secrétaires-comptables: Maryse Saint-Onge c.s.c, Claire Giroux s.n.j.m. pendant 34 ans, et de quelques rédacteurs-trices en chef: Louis Venne et Denise Lever s.p.c., avec une mention toute spéciale pour André Bernier qui est venu au secours d’Appoint à trois reprises, à la suite de décès, qui a été vaillamment au poste pendant 26 ans, et qui l’est encore aujourd’hui… Je dois ajouter la secrétaire-comptable Raymonde Guy qui a veillé avec grande compétence à la continuité d’Appoint, en 2015 et 2016, après le départ de Claire Giroux.

Pour comprendre encore mieux le miracle Appoint, il faut souligner fortement la fidélité, la compétence et le partage lumineux et stimulant des quelques centaines d’auteur-e-s qui ont écrit généreusement dans la revue depuis 1967. Appoint a publié 271 numéros depuis sa naissance.

 

Deux autres facteurs de longévité

             Deux autres facteurs ont assuré la permanence d’Appoint. La revue a été fondée sur une base de bénévolat et le demeure encore aujourd’hui… Personne n’a reçu un sou pour écrire. Personne n’a réclamé un sou pour écrire. J’ajoute que nous avons choisi, parfois pour des raisons financières, la simplicité dans la présentation de la revue: papier modeste, format économique, une seule couleur, pas de photos. La fidélité dans l’engagement gratuit et dans la simplicité

de la présentation expliquent aussi l’étonnante continuité de la revue pendant 50 ans.

            Appoint a longtemps évolué avec des ressources financières fragiles parce qu’elle n’est rattachée à aucune institution particulière. Ainsi l’ont voulu ses fondateurs pour des motifs d’autonomie et de liberté. Heureusement, une dizaine de Communautés amies nous

aident régulièrement et de bon cœur à équilibrer notre budget. Elles sont notre nécessaire et bienveillante Providence. Je dois ajouter que, depuis quelques années, le gouvernement fédéral applique une politique efficace et généreuse qui favorise les modestes revues comme la nôtre qui ne vivent pas de la publicité commerciale.

 

Un avenir prometteur

             Et l’avenir est prometteur. Je précise quelques beaux signes de vitalité qui donnent confiance. Nous n’avons pas de peine à maintenir une équipe de rédaction dynamique. La plupart des membres ont demandé pour en faire partie. Ils y trouvent un lieu exceptionnel d’implication personnelle et solidaire dans la société et dans l’Église, une occasion inespérée de partager leurs convictions sociales et spirituelles, et une école gratuite et joyeuse pour se former à la réflexion et à l’écriture.

La diminution accélérée de la clientèle des religieux et des religieuses a parfois rendu difficile d’accroître et même de maintenir le nombre des abonnements. La multiplication assez rapide des lecteurs laïcs a toutefois apporté une heureuse compensation. En fait, depuis plusieurs années, le tirage se maintient autour de 1400: environ 1050 abonnés et des exemplaires publicitaires.

            Appoint compte des abonnés dans chacune des régions du Canada. La revue rejoint des lecteurs et des lectrices dans 40 pays étrangers, le plus souvent des missionnaires qui se réjouissent de recevoir un écho de leur pays et de leur Église d’origine, et aussi une inspiration évangélique pour leur engagement. Certains l’utilisent comme outil pédagogique ou comme instrument d’animation pastorale ou spirituelle.

Depuis quelques décennies, Appoint prolonge son action et son influence d’une belle façon: des collaborateurs publient des volumes, individuellement ou en équipe de deux ou trois. Près de trente livres ont déjà vu le jour à la grande joie de nos lecteurs et lectrices. Cet élan se prolongera sans doute dans l’avenir.

 

Une belle fidélité

            Appoint a le mérite d’avoir duré 50 ans dans un contexte de forte mutation, sous le signe du bénévolat et de la gratuité, et d’être toujours bien vivante. Je suis convaincu que sa visée d’une authentique spiritualité évangélique attentive aux requêtes et aux inquiétudes des personnes et des groupes restera toujours d’une vive pertinence.

Les responsables, les auteurs, les lectrices et les lecteurs de la revue peuvent clamer avec Jean d’Ormesson: «Nous croyons que le message d’amour du Christ Jésus est un trésor pour toujours et que des hommes et des femmes ne cesseront jamais de se réunir en public, en privé, ou peut-être en secret, pour célébrer ensemble sa venue parmi nous1

Ces personnes ont librement et vaillamment assumé leur engagement à être responsables de la Présence de Dieu dans leur milieu, d’être en vérité l’espérance de Dieu aujourd’hui2. Dans un monde sécularisé, brisé par l’individualisme, la vitesse, la surconsommation, le matérialisme, la violence folle, ils ont voulu témoigner du don illimité d’une Présence infinie qui grandit l’homme et la femme3.

Oui, la revue Appoint a été fidèle, et d’une belle fidélité qui a été une aventure continue. Cette fidélité n’a pas été une répétition monotone et stérile, mais un rejaillissement perpétuel, une «fidélité créatrice» selon la formule stimulante de Gabriel Marcel, philosophe croyant.

La fidélité d’Appoint a été une fidélité animée par l’amour des personnes, par l’amour des réalisateurs de la revue, par l’amour de nos lectrices et de nos lecteurs: ils ont aimé, ils aiment notre société, le monde, leur Église proche, et aussi l’Église universelle.

J’écrivais dans un article de janvier 1972: «La fidélité n’est pas une question pour ceux et celles qui aiment vraiment. Elle est simplement une réponse vécue et pleine de sens.» Au fond de tout amour, il y a ce vœu de défier le temps, d’assurer la permanence d’un élan. On peut sans doute affirmer qu’un être est capable de fidélité dans la mesure où il est capable d’aimer.

Or nos lectrices et nos lecteurs, parfois de pays lointains, nous ont souvent dit leur amour de la revue à travers des témoignages du cœur. Leurs mots sympathiques et encourageants expriment leur confiance dans sa vitalité et son avenir, Ils lui ont dit et lui disent encore: «Toi, tu ne mourras pas, parce nous t’aimons.» Ils lui ont dès lors ouvert un horizon d’espérance.

 

Vers le grand large

             Les fondateurs et les réalisateurs d’Appoint ne se sont pas trompés dans le choix de leur visée centrale: ils ont accroché leur regard et leurs énergies à l’étoile la plus brillante, la plus éclairante, la plus donneuse de sens à la vie des femmes et des hommes de maintenant et de demain: Jésus et son Évangile.

La revue Appoint n’est pas prétentieuse. Elle croit tout de même «ajouter un point, si petit soit-il, à la magnifique broderie de la Vie», selon la belle expression de Teilhard de Chardin, et elle garde une espérance têtue face à l’avenir. Elle continuera de se livrer avec lucidité et générosité à la marée des événements et des appels.

Le voilier Appoint vise toujours le grand large. Que le Dieu de la vie continue d’accompagner son heureuse traversée!

 

Yvon Poitras

  1. [1] Article paru dans la Revue Appoint, La fidélité, vol. L, no 271, février 2017
  2. [2]Un jour je m’en irai sans avoir tout dit. Paris, Laffont, 2013, p. 244.
  3. [3]Voir Benoît Garceau. De la liberté au don de soi. Montréal, Médiaspaul, 2014, p. 97.
  4. [4]Voir Maurice Zundel, Au miroir de l’Évangile, Québec, Anne Sigier, 2007, p. 101.